Désorientale, de Négar Djavadi

Désorientale est un roman a connu un grand succès car je l’ai vu maintes fois sur les blogs ou des sites culturels. Je m’étais promis de le lire car j’aimais beaucoup le titre étrange et polysémique et c’est désormais chose faite. C’est un roman étonnant à plusieurs égards, qui ne m’a pas laissée indifférente, même si j’en attendais davantage.

« Désorientale » c’est à la fois orientale, désorientée et désorientalisée. Cela correspond très bien au thème principal du roman : l’exil. L’histoire est racontée du point de vue interne de Kimiâ. Au moment de l’écriture, elle a une trentaine d’années, vit à Paris et attend dans les couloirs d’un hôpital, dans un service de procréation médicalement assistée. Alors qu’elle souhaite donner la vie, elle revient par vagues sur la sienne : son enfance en Iran avec sa famille, son exil vers la France lorsqu’elle avait environ dix ans…

« Raconter le présent exige que je remonte loin dans le passé, que je traverse les frontières, survole les montagnes et rejoigne ce lac immense qu’on appelle mer, guidée par le flux des images, des associations libres, des soubresauts organiques, les creux et les bosses sculptés dans mes souvenirs par le temps. »

La structure du roman est assez particulière puisqu’elle ressemble aux images colorées d’un kaléidoscope : ces va-et-vient entre passé et présent, entre Iran, France mais aussi Belgique et Angleterre, mélangent les époques et les lieux, suivent le cours vagabond de la pensée de l’héroïne qui attend le médecin. La narratrice, à la manière des contes persans foisonnants de personnages, fait de longues digressions sur son enfance et évoque sa famille sur trois générations tout en parlant abondamment de la situation politique de l’Iran, notamment dans les années 70-80.

Le lecteur est poussé en avant dans sa lecture en raison des adresses directes qui lui sont faites par la narratrice et du suspense qu’elle entretient en nous parlant d’un événement (toujours en majuscules) mystérieux dont on n’apprend que très tard la nature exacte. De même, le rythme des phrases assez enlevé, ne nous permet pas de nous arrêter.

Kimiâ est la troisième fille de Sarah et Darius. Sa grande famille dans laquelle on appelle les oncles par des numéros est diverse et disparate. Toutefois, j’ai été déçue de ne pas m’être attachée à un personnage en particulier. J’ai trouvée Sarah, la mère, admirable pour son courage, mais trop préoccupée par la politique de son pays et pas assez par sa famille dans la vie de tous les jours. Le père quant à lui, vit dans une sorte de bulle intellectuelle et politique. Les enfants ou oncles, nombreux, ne sont pas assez développés à mon goût.

Seule l’héroïne est vraiment révélée, par petites touches. Dans une prose qui se fait parfois poétique, Kimiâ raconte son enfance, profondément enracinée dans son pays et dans la liberté et l’innocence qu’elle ne veut surtout pas perdre.

« J’étais certaine que devenir adulte privait plus qu’il n’accordait, empêchait plus qu’il n’autorisait. L’idée qu’un jour mon tour viendrait, que la vie me collerait au mur pour me dépouiller de moi-même, m’était insupportable. »

Elle narre aussi la solitude qu’elle éprouve, même au sein de sa propre famille, solitude que ressent aussi un de ses oncles qui cache un secret qu’on découvrira avec la narratrice. Elle se cherche sur plusieurs plans et nous suivons sa quête un peu solitaire.

« On croit communément que les grandes douleurs resserrent les liens. Ce n’est pas vrai de l’exil. La survie est une affaire personnelle. »

Comment se construire quand on est une petite fille et que notre père attendait un garçon ? Comment se construire quand nos parents sont des opposants politiques dans un pays qui connaît des tensions incroyables ? Comment se construire quand on est arrachée à son pays pendant l’enfance ? Telles sont les questions auxquelles le roman essaie de répondre dans un style empreint d’une certaine nostalgie et d’émotions mêlées.

Désorientale, de Négar Djavadi

Roman paru en 2016. 356 pages chez Liana Levi (collection « Littérature française »). 

Prix du style.

Meilleur premier roman français LIRE

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12 commentaires sur “Désorientale, de Négar Djavadi

  • 15 juin 2018 à 10 h 31 min
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    Je ne connaissais pas du tout ce livre, le sujet m’intéresse, je le note 🙂

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    • 17 juin 2018 à 8 h 45 min
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      Je pense qu’il pourrait tout à fait te plaire, en tout cas je l’espère !

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  • 15 juin 2018 à 17 h 03 min
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    Il est vrai que le titre donne envie de découvrir ce livre. Et ton billet aussi. Tu es redoutable, tu serais capable de nous faire lire de tout ! (bon, cela dit, quand tu n’aimes pas une lecture on le sent de suite 😀 ).
    J’aime beaucoup les romans qui permettent également d’en apprendre davantage sur un pays, une époque. Ou comment conjuguer le plaisir de lire et d’apprendre.

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    • 17 juin 2018 à 8 h 51 min
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      Oui tu as raison, je m’enthousiasme vite et je suis assez « entière », si bien que lorsque je n’apprécie pas ma lecture, je le fais savoir aussi 😀 !
      Moi aussi j’aime bien découvrir un peuple, des coutumes, un pays à travers mes lectures. J’avais beaucoup aimé Un fils en or de Shilpi Somaya Gowda, je ne sais pas si tu connais ; ça permet d’en apprendre un peu sur la culture indienne, c’est vraiment instructif.

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      • 18 juin 2018 à 10 h 59 min
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        Merci pour cette référence !! Quel beau billet ! Il faut vraiment que je lise les billets que tu as écrits avant que je prenne connaissance de ce blog. Je ne connais pas la culture indienne. Je me suis seulement brièvement intéressé il y a quelques temps sur un point que tu as toi-même mis en exergue : la façon de régler certains différends (qui dépend d’ailleurs non seulement des différends, mais également des coutumes religieuses). Ce sera une excellente occasion d’en apprendre davantage.
        Je vais finir par croire que tu es de mèche avec les libraires, c’est horrible 😀 !

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        • 25 juin 2018 à 13 h 46 min
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          Haha ! Non je ne suis pas de mèche avec les libraires, mais je ne peux pas me passer de lecture !Merci pour tes commentaires toujours très sympathiques. Oui, cette façon de régler les petits litiges ou les malentendus est assez saine, je trouve, et permettrait peut-être désengorger les tribunaux 😉 !

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  • 17 juin 2018 à 15 h 41 min
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    Petite remarque un peu « à côté » : je ne savais pas qu’il existait un Prix du Style. Intéressant…

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    • 18 juin 2018 à 1 h 51 min
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      Eh oui, et en plus, là il s’agit d’une écrivaine iranienne qui écrit en français. Même si elle habite en France depuis longtemps, chapeau !

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  • 18 juin 2018 à 10 h 36 min
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    Il est dans ma longue liste mais je ne sais pas si je le lirai durant l’été…ou pas ! Merci pour ta très intéressante chronique. Comme d’habitude elle me donne envie de le lire au plus vite

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    • 25 juin 2018 à 13 h 44 min
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      Merci Manou, moi aussi ça faisait un moment que je voulais lire ce roman, mais je n’ai pas trouvé le temps facilement… J’espère qu’il te plaira si tu le lis cet été. Belle journée !

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  • 19 juin 2018 à 9 h 16 min
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    On m’en parle tant de ce livre que, paradoxalement, j’ai peur de le lire, peur d’être déçue. Mais ta chronique me persuade que ça sera une bonne découverte !

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    • 25 juin 2018 à 13 h 48 min
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      Je comprends tout à fait parce que c’est la même chose pour moi, j’appréhende toujours une lecture qui suscite autant de passion. D’ailleurs, j’ai attendu un peu avant de me lancer dans Désorientale, mais je ne le regrette pas.

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