J’ai choisi Plus haut que la mer de Francesca Melandri parce qu’un collègue m’a conseillé ce titre. Je ne connaissais pas du tout cette autrice, pas même de nom, c’est donc une découverte totale. Je n’ai pas voulu en savoir davantage, il m’avait seulement dit que c’était bien écrit…
L’histoire se déroule à la fin des années 70 en Italie. Luisa se prépare à faire un long voyage, laissant ses cinq enfants seuls à la maison. Elle va rendre visite à leur père, son mari, qui se trouve dans une prison de haute sécurité sur une île pour avoir commis deux meurtres. Parallèlement, Paolo fait un trajet similaire pour rendre visite à son fils, terroriste italien incarcéré au même endroit.
Pour se rendre sur l’île, il est nécessaire d’emprunter un ferry, mais une tempête va empêcher les deux héros de revenir sur le continent. Ils vont devoir passer la nuit sur l’Île, surveillés par Pierfrancesco Nitti, un maton qui vit là avec son épouse Maria Caterina.
Une relation étrange va unir pendant moins de 48 h ces différents personnages qui ne s’étaient jamais rencontrés auparavant. Luisa est une paysanne à la vie difficile. Elle a épousé un homme violent et se retrouve depuis et pour longtemps seule à élever leur famille nombreuse. Directe, terre-à-terre, elle a un bon sens pratique qui la rend attachante. Elle s’avoue au fil des pages à quel point elle est soulagée de n’avoir plus à affronter son mari au quotidien et se satisfait de sa détention. Sa découverte de la mer préfigure celle de sa conscience : elle va peu à peu découvrir qui elle est.
« C’est pour ça qu’on avait mis le mari de Luisa sur une île. Car si l’on veut garder quelqu’un vraiment à l’écart du reste du monde, il n’y a pas de mur plus haut que la mer. Ainsi Luisa, en plus de l’angoisse, de l’incertitude, du mélange d’émotions avec lesquelles elle s’apprêtait à entreprendre les longs voyages qui la conduisaient devant son mari – émotions sur lesquelles elle évitait de s’attarder –, avait éprouvé en partant une nouvelle sensation impossible à avouer. Une excitation, une anticipation. Elle n’avait jamais vu la mer. »
Paolo de son côté est un homme plus âgé, un veuf anciennement professeur de philosophie plein de remords. Il ne parvient pas à comprendre comment ce fils d’intellectuel a pu en arriver à des actes aussi violents. Il en éprouve une culpabilité douloureuse symbolisée par une photographie qu’il conserve en permanence sur lui et qui lui rappelle sans cesse le meurtre qu’a commis son fils… et son échec personnel dans l’éducation qu’il lui a inculquée.
Enfin Nitti, confronté à la violence des prisonniers dans son travail quotidien devra lui aussi réfléchir à ce qu’il est en train de devenir, grâce à une remarque de sa femme que Luisa lui rapporte.
Leurs interactions et leurs sentiments sont esquissés avec une vraie finesse psychologique, et s’harmonisent avec les éléments naturels déchaînés. L’orage, la tempête, la mer démontée sont là pour les isoler du reste du monde et leur faire prendre conscience de qui ils sont vraiment.
« La pluie avait cessé, mais le vent soufflait maintenant avec la force d’un ouragan. Les vagues allaient se briser dans le petit port, à l’endroit même où le bateau était arrivé le matin. Aucun ressac, aucune trêve : elles explosaient l’une après l’autre dans un giclement d’écume contre le quai qu’elles submergeaient ensuite dans un grondement. La fureur des lames ressemblait plutôt à de la méchanceté. […] Il se demanda si son fils, lui aussi, était en train d’écouter la tempête. Avec quelle force le vent pénètre-t-il dans une cellule ? Comme un courant d’air ? Une rafale ? Quand l’air frappe la terre à quarante nœuds, quelle part s’insinue-t-elle derrière les ailes de la prison, les murs épais, les abat-jour ? Et le mugissement de la mer, ce battement de liquide projeté sur le solide avec une puissance maximale, arrive-t-il à entamer le silence visqueux d’une prison à régime spécial ? Est-ce qu’au moins pendant les tempêtes les éléments parviennent à atteindre ceux qui sont condamnés, justement, à ne plus les entendre ? »
J’ai apprécié l’écriture (merci à la traductrice) capable d’envolées poétiques, de sonder l’âme des protagonistes tout en décrivant avec force la tempête que fait rage au dehors comme au-dedans des esprits. Ce mélange illustre ce qui se déroule dans la tête de Luisa, de Paolo et du gardien et sa femme.
C’est la violence qui est au cœur de Plus haut que la mer. Celle des meurtriers qui vivent désormais derrière les barreaux, mais aussi, plus intérieure et subtile, celle qui existe en chaque personnage – en chacun de nous sans doute. L’expérience que vivent les protagonistes permet de reconnaître, d’admettre et de mettre des mots sur cette violence. Comme la tempête qui finit par se calmer et les autorise à reprendre le ferry pour rejoindre le continent, leur esprit rasséréné leur accordera de poursuivre leur vie d’une manière plus paisible.
J’ai cependant été déçue par la fin qui résume ensuite le chemin parcouru par chacun de manière rapide et trop directe, à la manière d’un épilogue. J’ai nettement préféré la subtilité du reste du roman. Néanmoins Plus haut que la mer reste pour moi un beau roman.
Plus haut que la mer, de Francesca Melandri
Roman paru en 2015. 24 pages chez Gallimard (collection Folio).
Titre original : Più alto del mare, traduit par Danièle Valin.
Prix de l’union interalliée 2016 & Prix Jean-Carrière 2015.
J’ai vraiment beaucoup aimé son « Eva dort », alors j’ai bien envie de lire celui-ci que je ne connaissais pas, merci pour le partage !
Je ne connais pas Eva dort, mais tu n’es pas la première à me signaler que c’est un bon roman, alors merci du conseil ! 😉
Je conseille vivement de cette auteure : « tous, sauf moi ».
Merci pour le conseil ! Je le note.
un retour sur lecture qui donne envie d’ouvrir les pages du roman. je ne connais pas cette auteur, j’ai lu peu de romans italiens. mais ce thème est intéressant. j’imagine un peu ce que doit être cet épilogue, mais après tout, ce n’est peut-être pas si mal venu après cette histoire?
Merci ! Moi non plus je ne connais pas bien la littérature italienne (sauf la saga d’Elena Ferrante que j’ai dévorée, ce roman est le premier italien depuis longtemps). Le thème est très original, j’espère qu’il te plaira si tu le lis. 😉